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"J’ai passé mon enfance dans le bureau de poste d’un tout petit village du Bugey, c’est dire que le facteur fut pour moi un personnage d’importance. Le règlement très strict imposait qu’il porte en toute saison une vareuse en drap sombre boutonnée, un képi et des godillots lacés. Or, un matin, un bouton manquait à la vareuse. Ma mère, fort anxieuse de la tenue non conforme de “son” facteur, me chargea de fureter partout; nous déplaçames les chaises, la lourde table de tri; les lattes disjointes du parquet ne furent pas oubliées. Cet objet minuscule prit tout au long de la journée une importance démesurée. Ce grain de sable représentant une faute exagérément grossie dans un service toujours rigoureusement accompli. Au milieu de l’après -midi, harnaché comme il devait l’être mais mal boutonné, notre facteur rentra, épuisé d’avoir toute la journée heurté ses godillots contre les pierres du sentier. A son arrivée, comme d’habitude, des nouvelles, des anecdotes et, au fond de ses poches, des noisettes, des mûres et ô surprise, le bouton... Pauvre mère!" Renée Depauw ("coudre son histoire à un bouton")
Lyon le 16 septembre 2005, Chère Madame Depauw, Merci de cette visite en compagnie de votre époux, hier à la bibliothèque de la Duchère. Votre écoute de la lecture de « Reprise » par Cécilia de Varine a été un réel soutien. Comme je vous l’ai précisé, j’ai récemment entamé un « chantier épistolaire » par lequel je restitue aux personnes qui ont cousu un bout de leur histoire à un bouton, copie de leur texte, enrichi du commentaire que m’inspire la relecture de celui-ci. Vous avez écrit ce texte — qui nous amène à faire connaissance maintenant — très certainement en 2000. Pauline Floret, la bibliothécaire, m’avait remis deux fiches de votre part. L’autre, plus fantaisiste, était un clin d’oeil à Magritte en forme de bouton peint sur un cercle de carton assorti de la phrase « ceci n’est pas un bouton...mais une autre histoire ». Des courriers vous étant adressés me sont revenus, marqués de cette mention « NPAI » qui inscrit dans les pas d’un facteur un déménagement. Votre fiche a été exposée cet été dans le cadre de la Biennale d’art contemporain de Melle (Deux-Sèvres), intitulée « Vies à vies portrait de ville », à la poste précisément. Le receveur m’a confirmé que les facteurs en campagne prenaient encore le temps de ramasser une poignée de noisettes, ce qui est somme toute rassurant sur la santé du monde. Votre texte est publié page 143 de l’essai par lequel je fais état de ces sept ans d’aventure artistique et humaine dans ce quartier de la Duchère actuellement si bousculé. Il y renforce la narration d’une action menée avec l’aide de la Poste, intitulée « avis de passage », par laquelle je conviais les habitants à venir retirer un paquet-surprise contenant un témoignage, un bouton, et pour la douceur, un petit pot de confiture (quelque chose de très similaire, en fin de compte, aux poches de « votre » facteur d’enfance). Votre texte , d’une grande tendresse, met en parallèle la rigueur d’un règlement et une liberté que l’homme sait s’accorder tout en conservant son sens du devoir. Il pointe aussi — même s’il vous semble que votre mère avait exagérément grossi le défaut — la nécessité d’accorder son importance au détail. Recevez toute ma sympathie. Michel Jeannès