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“Des boutons comme celui-ci, j’en ai plein la boite, des boutons que nous ramassions dans les jardins il y a plus de 60 ans!Mon grand-père était ouvrier aux papeteries de Pont-de-Claix. On y fabriquait du beau papier à partir du chiffon. Les chiffons arrivaient par gros ballots, et les ouvrières, parmi lesquelles mes tantes, triaient les tissus. Ceux qui étaient impropres étaient mis de côté. Il fallait aussi enlever tous les boutons, les boucles métalliques, vider les poches. Parfois, elles trouvaient de petits trésors, et même une médaille en or dont le petit anneau était cassé. Tous ces débris étaient jetés dans les champs alentours. Le tissu se décomposait, pourrissait. Ces champs, par la suite ont été divisés en parcelles et distribués en jardins ouvriers. Mes grand-parents en cultivaient un, et nous les petits, nous les suivions quand ils béchaient pour retourner la terre avant de semer et de planter, et nous récupérions les boutons. La fête! Nous en faisions de vraies récoltes. Il y en avait même en nacre...Après, nous les lavions, puis avec une aiguille, nous les débarrassions de la terre qui les obstruait. Et voilà, nous n’achetions jamais de boutons, ni aucune de famille de la papeterie. Ce bouton, c’est un petit morceau de l’histoire ouvrière de ce quartier, de mon histoire aussi.” Anne-Marie Huissoud
Lyon , le 24 juillet 2005 Chère Anne-Marie, Une dame algérienne, rencontrée à la Sauvegarde et venue sur ta recommandation lors de la dernière présentation à la bibliothèque, m’a dit avoir fait ta connaissance à l’hopital et fait part de ton nouveau combat, contre le cancer cette fois. Je ne sais qu’en dire, tant cette maladie effraie par sa part d’inconnu qui ne la vit dans sa chair, sinon ce mot espagnol d’ encouragement : “Fuerza!” (force!). Ci-joint aussi quelques coupures de presse relatives à la biennale de Melle (Deux-Sèvres) intitulée “Vies à vies”. Ta fiche, écrite il y a cinq ans, y est actuellement exposée, partageant un souvenir de vie et donnant envie de participer à d’autres. J’ai “rejoué” la sculpture “rond-point-point de rencontre” faite avec une tonne de boutons et qui avait tant marqué ta petite-fille. Tu as participé à cette réalisation en donnant le contenu de ta boîte à boutons familiale, qui continue ainsi à produire de la joie et de l’étonnement “à la tonne”!. Mon travail de “mercier-poète”, en sept ans, a considérablement évolué. Je voudrais que tu saches, si cela peut renforcer ton moral et t’aider à lutter, combien l’une de tes réflexions a pu m’aider à tenir mon cap. Tu m’avais confié, à l’issue de la première exposition à la Bibliothèque (*) : “Lorsque vous m’avez dit que, moi aussi, j’avais aussi le droit d’être dans l’art, vous n’imaginez pas le bien que ça m’a fait!”. Dans les moments de doute, cette phrase renforce un sentiment de responsabilité vis à vis des “textes et gestes modestes” qui m’ont été confiés dans le but de constituer une oeuvre commune. Depuis peu, je revisite l’ensemble des contributions à “coudre son histoire à un bouton” et j’écris une lettre à chacun, assortie d’un commentaire sur le contenu. L’idée de base qui sous-tend ce travail est que nous manquons tous “d’accusés de réception” (**). (Depuis, j’ai lu qu’il existe un mot en hébreu signifiant “reçu” et désignant celui dont la prière a été entendu). Te sachant actuellement dans une phase de vulnérabilité et peut-être de souffrance, ton texte prend une densité extraordinaire, philosophique. Tu y décris le passage nécessaire par une forme d’abandon des oripeaux (la décomposition du tissu) pour accéder à une résurrection (du bouton trouvé, lavé, soigné) comme trésor d’enfance et fête du regard. Je sais que tu as en toi la puissance du regard émerveillé de l’enfant. Que ce “tout-petit joyeux-en-toi-brillant comme un bouton de nacre”, qui fait sens de ta présence au monde pour ceux que tu croises, t’accompagne et te guide pour traverser ces épreuves. Je te garde bien présente. Reçois toute ma sympathie. Michel Jeannès ( “Monsieur Bouton” pour les duchérois) (*) Exposition où figurait ta fiche dont le texte ci-dessus, fait trace (p.74) dans mon dernier livre Zone d’Intention Poétique, que tu pourras consulter à la Bibliothèque.J’y raconte le développement de cette histoire singulière et collective. (**) Et disant cela, j’ai bien en mémoire ta réflexion lors d’une projection à Ciné-Duchère des films militant pour une concertation véritable avec les habitants. Tu as dit (et je l’ai filmé): “Mais puisqu’ils ne nous écoutent pas, on ferait mieux de se taire!”. Le silence comme refuge et moyen de lutte contre l’insolence des dominants.