Exposition Ni vu, ni connu , 2005-2006
Récit d’expérience. Rencontre avec…
Plus habituellement expérimentée auprès de groupes plus traditionnels, la rencontre avec… Michel Jeannès a eu lieu avec des élèves déficients visuels dans le cadre de la résidence de l’artiste lors de l’exposition Ni vu, ni connu et de la présentation d’une oeuvre intitulée Secrets de femmes. Cette oeuvre participative est constitué de petites toiles tendues sur châssis présentées bord à bord, à l’envers desquels des femmes ont cousu un secret personnel en le recouvrant de boutons. La face présentée au public montre les coutures des boutons, avec des fils et des points de tailles, de régularités et de couleurs diverses.
La classe en visite est une classe d'adolescents de l’EREA DV de Villeurbanne. Michel Jeannès commence son intervention en offrant à chaque élève un bouton, « Plus petit objet culturel commun » et objet à faire lien que le jeune gardera en souvenir de sa visite. L’artiste fait ensuite circuler une toile vierge et une oeuvre réalisée. Les élèves peuvent ainsi, par le toucher, différencier l’envers et l’endroit d’un tableau et comprendre du bout des doigts la « forme » proposée aux regards, la place des boutons, l’épaisseur du châssis...
L’artiste amène ensuite la réflexion sur le fait d’avoir, de garder ou de confier un secret. Les garçons présents, habituellement assez silencieux, se sont largement exprimés, et l’accompagnatrice a jugé très constructifs ces échanges inhabituels entre les élèves et cet artiste rompu à la médiation de son oeuvre et à l’écoute de l’autre.
Regard’ailleurs
Depuis 1998, je développe avec le collectif indisciplinaire La Mercerie une pratique artistique familière sur le quartier de la Duchère (Lyon 9eme), actuellement en cours de rénovation urbaine. J’utilise le bouton, objet modeste et fonctionnel, très chargé en affects car nous reliant à la boîte à boutons de nos mères et grand-mères et aux jeux de l’enfance, comme objet-médiateur afin de générer une oeuvre relationnelle, tissée de rencontres, témoignages et traces de vies.
La collaboration avec le Museum s’inscrit aussi dans la durée. Dès Trésors, chefs d’oeuvres et quoi encore ? (septembre 2001-mars 2002), la présentation d’un « témoignage cousu d’exil » , confié par une femme d’origine algérienne, a permis de mesurer l’importance pour des personnes résidant dans un quartier populaire, d’un accès au musée, non seulement comme visiteur mais aussi comme auteur de l’une des pièces constitutives de l’exposition.
Cette collaboration a transcendé la formule de « l’accès à la culture » — accès souvent confondu avec l’accessibilité aux données culturelles — et ouvert un espace de légitimité: « puisque le travail auquel j’ai participé est exposé dans un musée et que celui-ci est garant de la valeur de ce qu’il conserve et montre, mon travail a une valeur ; me sentant reconnu et acteur, je peux m’intéresser à ce que l’on me propose. Je suis acteur culturel — et donc citoyen — à part entière.».En réponse à Ni vu ni connu (novembre 2005-juillet 2006) et à l’invitation à illustrer le thème de l’intime, les secrets de femmes , oeuvre initiée sur le quartier de la Duchère et prolongée dans des réseaux divers a permis des rencontres inédites dans le partage de la démarche, avec les jeunes déficients visuels mais aussi avec des groupes à l’handicap moins spécifique définis comme les « gens normaux ».
Une résidence d’une semaine m’ a permis d’élaborer des petites formes proches de la performance. des « visites boutonnières à deux voix » ont été conçues et expérimentées in vivo avec l’équipe du service des publics du Muséum. Ces visites-performance tissaient le parcours de la visite réalisée par la médiatrice, par des remarques sur les boutons signifiants jalonnant l’exposition sans qu’on les remarque. Le regard alternatif de « Monsieur Bouton » boutonnant par des points de détail la trame de la visite a ouvert un espace de jeu et de dialogue. Celui-ci autorisait ainsi les visiteurs à s’approprier l’exposition à partir de la singularité de leur propre regard. Lorsqu’ils découvraient ensuite l’œuvre « secrets de femmes » les visiteurs étaient à même de la percevoir comme un élément d’une démarche artistique plus globale et la replacer dans la logique qui avait induit sa conception, tout autant qu’à son intégration au parcours global de l’exposition. L’espace d’échange construit en amont s’ouvrait alors sur des questionnements authentiques de l’oeuvre.
Moments d’intelligence, terme dont la racine indoeuropéenne leg se rattache à « cueillir », « choisir », « rassembler ». Plaisir subtil que d’être en intelligence avec l’autre, c’est dire en conformité de sentiments, dans et par une construction commune.Michel Jeannès (collectif La Mercerie)
mis en ligne par l'auteur le 21 novembre 2008
après publication in Du Museum au Musée des confluences (p.35)