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Notes pour une sémiologie de l’oeuvre-monogramme

Rappel de la méthode

Sous le titre générique des Notes pour une sémiologie de l’oeuvre-monogramme, nous développons une série de travaux analytiques basés sur la lecture d’oeuvres, le plus souvent plastiques. L’hypothèse qui sous-tend la méthode est que l’oeuvre est régie par un programme-code organisé autour des éléments onomastiques propres à l’auteur : nom, prénom, avatars de ceux-ci tels qu’initiales, anagrammes, fragments.
Notre lecture s’attache au repérage des analogons, schèmes esthético-sémantiques et identitaires auxquels l’artiste « accroche » sa création et par laquelle il la nourrit.
Il va de soi que, si l’hypothèse se confirme, nous sommes nous-mêmes tributaires de notre propre subjectivité, ce qui explique que nous signons nos articles, sans gêne aucune, comme constructions narratives à propos de.

à propos d’une série de dessins par Sylvain Bravo
( des riches heurs de Gulliver à Lilliput )

Le vit du sujet (1)

La série de dessins qui motive notre lecture s’inscrit dans un projet monumental intitule « les onze mille verges », au travers de laquelle Sylvain Bravo explore, voire s’explore et sexplore, la thématique de l’arbre et la forêt, voire du doux-fourrer qui se fait dresser l’arbre dru.

Un premier repérage du monogramme s’impose au niveau-même de la thématique puisque le prénom Sylvain, du latin silva, désignait dans la mythologie romaine, les génies protecteurs des forêts. Quant au patronyme Bravo, d’origine espagnole et le plus souvent utilisé comme interjection liée aux applaudissements, il désigne la vaillance, l’effort, la superbe, voire la férocité de l’animal, tous adjectifs dont l’humain — et en particulier l’humain de genre masculin — au travail, à la guerre ou l’amour, aime à parer sa condition pour en conter avantageusement la geste.
Remarquons au passage l’anagrammisation de la première syllabe patronymique ( et pas trop anémique) qui redouble la thématique de l’arb/arbre atour de bras.
Traverser en solitaire une forêt de onze-mille verges est un noir dessein qui n’ombrage point le poète puisqu’à la sombre de son propre fourré s’embraise, bravant tous les dangers et rejoignant en celà les plus grands sylvanigateurs de l’imaginaire : dresser et compter les arbres, les bois, les mines, les bâtons comme les jours sans peine c’est dire à bonne mine ni morne pine est digne d’un Khi-jota(2) prenant son voulant en main pour destin : faire trace de brave jusqu’à la bave et jaculer à la face du monde ce que fût de héros une vie qui prit vit pour modèle ( le dit mot d’Elle ne pouvant être « ma que bravo ! »). Vivre à la pointe de son sabre, fût-ce une dureté dûment codifiée en HB, mais pourfendre à tours de bras les vains honneurs entâchés des vins donneurs. Bâtir un monde à son image : un monde de sylvanité à l’heure du brave enfoncé jusqu’à la garde et amourant sans se rendre, sans ce rendre mou cela sylva de soi s’en tend et sursaute regain de sève, de selve. Eclat de lyre et « à deusx (3) mains syl-voulez bien ! »(4)

Après avoir mis en évidence (le vit danse) la fonction du monogramme dans la thématique et le processus de travail de l’artiste, nous recentrons la lecture sur la série exposée (5) que nous nous sommes proposés de soumettre à la question.
Composée de quarante(6) dessins au crayon de format A4. Chacun des dessins représente une situation que l’on peut qualifier d’érotique, au vu du sujet dénudé mais non dénué d’humour.
Le thème s’étaye sur le roman de Jonathan Swift — Voyages de Gulliver — et en particulier sur un passage où le héros, à Lilliput, décrit sa rencontre avec les habitants du cru (la bite tend du clu pour qui loule des zèles) : les puciens et puciennes, petit peuple de la nuit si l’on en remonte aux origines du monde et du mot : Lil, laïl, en art-à-bie theureuse signifie la nuit.

Cadré en format « portrait » accusant comme il se doigt la verticalité, un fragment de corps masculin, morceau choisi s’il en est, accuse le coup et plante le décor : point de vue imprenable sur le cul nu et offert de Gulliver, couilles battantes et sexe en érection : hommage au Bra(vo)quemard, au Chibre(7) , géant cyclopéen et habitant solitaire de l’île du pubis.
Sortis d’on-ne-sait-où, mais probablement de l’anus(8) — ces homuncules(9) mêles et femâles confondus — entreprennent au fil des dessins, une joyeuse et bienveillante exploration du membre Gullivenerien. L’on peut, pressentant les sensations du géant réduit à sa plus simple expression, imaginer les effets érectiles de ces Guilli-guillis verts à souhaits. Les couilles appellent à la chatouille et le grand Branque , tenons et mortaise, s’embranle dès que balance. Les quarante dessins équivalent à un Bravo d’honneur au cours duquel l’artiste se donne bien du mâle pour le plaisir du regardeur. Puciens et puciennes font l’escalade par la face nord et par tous les bouts, s’adonnant à l’hédonisme de l’alpinisme, vit fait sur le pouce et à langueur de gland. Sylveden de chair dans lequel les corps jouissent d’eux-mêmes et du paysage dans un coït entre fond et forme figuré par le changement d’échelle. Procédé de la nature et nature du procédé, sans autre forme de procès, surtout pas d’in-tension. Du touche-pipi comme principe cosmogonique, mode d’explication du monde : point de jonction entre nadir et zénit , perçu comme acmée du génital et illustration du génius locus culos coolos os coule....Bravo-brave-baver...liqueur séminale qui figure une fois encore l’informalisable de la pensée et des affects et le quantum/quant-homme, potentiel de l’auteur à l’oeuvre dans sa tentative d’objectiver son « Monmonde »(10) et son quant-à-soi. Appel libertaire — ouvert comme livre à terre — à l’égoute de la j’ouïs-sens des aiguilles d’une monstre. L’ombre du membre sur la cuisse comme celle de la mort sur le peau-de-pêche de la vie. La bite dure comme un os, tendue à célébrer les noces du micro et du macro au Sylvin-blanc-spermeux comme du crémant pour conjurer par un trop plein d’amor le sourire nacré de Celle qui nous attend pour qu’on la regarde enface, en fin, lorsque dans le miroir, le regard se glace sans mémoire. Danse macabrave d’un chibre qui s’écoule comme la cire d’un gisant. Trop plein de vie d’un môme qui s’entrevoit déjà momie. Foetus-voetus, cycle de vie dans un cycle de vit. En quarante dessins, le corps Gullivenerien, initialement couché sur le côté droit, se retourne marquant le trajet d’une petite aiguille alors que le membre viril, grande aiguille des minutes de la vie, entame sa course au plaisir figurée par la trajectoire d’une remise des pendules à l’heur.

Dernier acte : le corps est sur le ventre, les homuncules ont disparus, peut-être absorbés par le paysage, enfouis quelque part dans la raie des fesses ; un seul subsiste en corps, jambes écartées faisant pendant aux testicules, il a la tête immergée dans l’anus, regard sur le néant merdeux d’où l’on provient, promesse d’une remontée aux origines indestinales de l’humain : mira-culo(11) ! Acte de foi que celui du mira-culé qui s’os-culte jusqu’au limites du zob-scène pour inter-peler(12) le regardeur d’une salutaire bra(vo)nlette, à la volette...à la volette...

Michel Jeannès 10-16 mai 2006
mis en ligne le 3 janvier 2007


(1) Nous nous autorisons ce jeu entre « vif » et « vit » pour souligner le palindrome vertical de la lettre f/t .
(2) Il nous apparaît que le nom du héros de Cervantes dissimule le Khrisme, monogramme du Christ formé des lettres grecques Khi et Rho. Chiro désigne aussi la main, devenir christique de la main du dessinateur, stigmatisée d’un crayon en guise de clou. Calvaire solitaire de l’artiste pour qui le fruit est dans l’ovaire, promesse de fécond.
(3) Non point effet d’écriture, voire de manche, mais lapsus tapuscrit (« Macuscrit ») qui inscrit la promesse du demain entre le plaisir sylvolitaire (en VO) et deux ex-machinéen (en NB).
(4) Nous glissons-là, pour le simple plaisir de l’autosignification, l’un de nos analogons : Lucien Jeunesse, animateur d’un jeu radiphonique fameux, terminait ainsi son émission : « à demain si vous le voulez bien !».
(5) Multiples desseins, exposition collective du 2 juin au 2 juillet 2006, atelier Christophe Vailati, 36 rue Desjoyaux, Saint Etienne.
(6) Le nombre de dessins pourrait évoquer celui des voleurs qui font contrepoint à Ali Baba / Sylvali Baba-cadabra), mythe du sésame-ouvre-toi (parole magique et le verbe – anagramme « breve » , proche de Brave — qui permet d’accéder au trésor. L’écart entre « voleur » et « valeur » définit un champ sémantique dont l’exploration serait profitable. Signalons dans le cadre de cette notule la fonction monogrammatique de la Sylvaleur/ Sylvoleur.
(7) Les hébraïsant noteront le rapport d’anagrammisation de « chibre » et « berechit », premier mot de la Genèse (Berechit Bara Elohim) traduit par « à l’origine était le verbe »).
(8) « Sylvano, Sylvanus » instaurent l’anus comme trompe l’oeil monogrammique. A noter aussi la relation avec l’année, du latin annus. L’ homonymie voile de trivial la chronométrie— arpentage du temps de vie/vit— de l’auteur.
(9) Les alchimistes disaient fabriquer les homuncules à partir de sperme et de sang.
(10)Nous devons ce terme à Edgar Morin, ainsi que celui de « Mac’uscrit ».
(11) Espagnol :mirar, regarder. Miraculo, miracle signifie donc, littéralement, voir-le-cul.
(12)espagnol : piel, peau. Du corps à corps des interpelades de l’auteur et du regardeur.